Les jeunes sont très attirés par les mangas, et cela se voit particulièrement dans le monde du dessin : sur tous les forums et les réseaux sociaux dédiés au dessin, on voit des dizaines et des dizaines de jeunes dessinateurs, souvent adolescents, qui ne jurent que par le manga. Ces jeunes lisent des mangas, ils veulent pouvoir en dessiner, et pour apprendre à dessiner, bien sûr, ils prennent les mangas comme seule référence.
Et souvent, ça ne les mène nulle part.
Alors, dessiner des mangas, bonne ou mauvaise idée ? On fait le point.
Un succès rarissime
Disons-le tout de suite, on peut dessiner des mangas et être un très bon artiste. Les mangakas professionnels le démontrent régulièrement et, si on ne prend en compte que la maîtrise technique, ils sont clairement des artistes dont le savoir-faire est très difficilement égalable sans une longue formation artistique.
Pourtant, nos jeunes amateurs de mangas, eux, présentent souvent des dessins de très bas niveau : trait hésitant, anatomie fausse (pour ne pas dire chaotique), incohérence générale du dessin, ombres ratées, drapés faux également, bref rien ne va, et ce n’est pas être sévère que de dire ça.

Un apprentissage vide
Soyons honnête, ces dessinateurs ont déjà le grand handicap d’être jeunes, voire très jeunes. Il n’y a pas de honte à ne pas être un génial artiste à 10 ou 15 ans, ce serait même assez étonnant. Ne leur faisons donc pas le procès de leur âge. Le problème réel est que lorsqu’on les croise 6 mois ou même des années plus tard, il n’y a eu aucun progrès. Leur niveau est toujours le même, ou à peine meilleur. Tandis qu’en 6 mois, un dessinateur classique ayant suivi une formation sérieuse aura fait de très importants progrès.
On remarquera systématiquement chez ces jeunes fans de mangas un apprentissage vide, c’est-à-dire une absence de méthode, un entraînement inadapté, une pratique lacunaire, qui ne peuvent aboutir qu’à de mauvais dessins.
Le problème est là : ces jeunes pratiquent, mais n’apprennent rien. Et pour cause, les livres d’apprentissage du dessin manga sont rares, et de toute manière ces jeunes ne les lisent pas. Si bien que leur apprentissage se limite généralement à recopier des dessins mangas, ce qui n’est pas dénué d’intérêt mais ne sera jamais une formation à part entière.
On voit ainsi sur les forums de dessin des jeunes qui, pendant des années, ont copié des dizaines, voire des centaines de dessins mangas, et dont le niveau reste pourtant très bas, faute d’un savoir technique et de connaissances anatomiques réelles.
Un style trop stylisé
Copier du De Vinci, du Bouguereau, de l’art classique en général, cela peut donner des résultats, car il s’agit d’oeuvres complexes mettant en scène anatomie, composition, couleurs, drapés, ombres et lumières, bref, de quoi aborder toutes les facettes du dessin ou de la peinture d’un coup. On en ressort donc forcément meilleur.
Mais copier des mangas, c’est différent, car les mangas sont un style graphique à part entière, et souvent bien plus simpliste que les grands courants artistiques.
Les mangas sont généralement en noir et blanc, les ombres y sont très peu présentes, l’anatomie y est souvent très simplifiée ou au contraire exagérée, les expressions de visage aussi. On voit bien là une simplicité susceptible d’attirer les débutants, mais rarement de quoi appâter un artiste, ni en former un.

On peut ainsi copier des mangas sans fin sans jamais travailler aucune de toutes ces notions artistiques, ou bien en les frôlant à peine.
Si donc on ne suit pas une méthode d’apprentissage claire, même dédiée au manga, et qu’on se contente en plus de copier des dessins simplistes, sans chercher à approfondir, que peut-il en résulter ?
Peu de choses, et souvent, après quelques dessins laborieux et de mauvaise qualité, les jeunes dessinateurs se lassent, sans avoir compris que leur mangakas préférés ont, eux, suivi une longue et intense formation technique hors du style manga, et sans laquelle leur talent au manga n’aurait jamais vu le jour. Et Dieu sait à quel point les académie de dessin japonaise peuvent être rigoureuses dans leur enseignement du dessin classique.
Une base académique est indispensable
Les dessinateurs de mangas professionnels, malgré leurs graphismes simples, ont une formation solide derrière eux. Le style manga n’est alors pour eux qu’une déformation de ce style. Mais croire que l’on peut sauter la formation et aller directement au style manga, c’est comme croire que l’on peut s’asseoir au piano pour la première fois et se lancer dans une improvisation de jazz sans avoir jamais suivi un cour de solfège : l’apprentissage des bases est indispensable, et le style qui en sort ne vient qu’après.
L’erreur est de croire que l’enseignement classique du dessin et l’enseignement du manga sont deux disciplines sans lien, alors qu’elles sont en fait solidement liées.
Alors faut-il apprendre le dessin manga ?
On peut certes apprendre le dessin manga, mais il est toujours nécessaire d’apprendre avant cela les bases du dessin classique : anatomie, perspective, éclairage, drapé, décors,…
Ensuite seulement, il sera temps d’appliquer à ce savoir les caractéristiques du style manga. Commencer directement par le style manga, c’est sauter toutes les étapes-clés, et nos jeunes dessinateurs nous montrent trop souvent combien cela est stérile, et combien de temps on peut y perdre.
Passer seulement 6 mois à apprendre les bases du dessin fera éviter à un jeune dessinateur des années d’errance à recopier des mangas sans comprendre ce qu’il dessine. Il évitera par exemple le « piège des gros yeux » : dessiner des mangas pendant des années conduit à dessiner des gros yeux en permanence, puisque les gros yeux sont une caractéristique quasi-systématique du style manga. Une fois amenés à dessiner un personnage en style classique, les fans de manga, sans s’en rendre compte, leur dessineront à eux aussi des gros yeux mangas. Leur méconnaissance de l’anatomie et leur bagage artistique cantonné au style manga leur aura fait croire qu’il est normal de dessiner des yeux disproportionnés à un personnage, même en style classique.
Les jeunes tombés dans ce piège, au lieu d’acquérir une base classique pour développer ensuite un style manga, acquièrent des bases mangas superficielles et en font leur base, qui imprégnera tout ce qu’ils dessineront ensuite.
Dessiner ce qu’on aime, ou aimer ce qu’on dessine
Souvent, les jeunes dessinent des mangas car ils aiment les mangas, et ne connaissent en fait pas grand-chose d’autre. Difficile de faire aimer à un jeune le dessin académique quand il ne connaît rien de notable dans ce style. Pourtant, et l’expérience le prouve, les jeunes s’intéressent d’autant plus aux styles académiques qu’ils en maîtrisent les aspects techniques. En clair : quand on sait dessiner du classique, on aime le classique, car on le comprend mieux, on sait l’apprécier et l’on souhaite en explorer toutes les facettes. Le style manga semble alors subitement un terrain de jeu bien étroit.
Il ne s’agit bien sûr pas ici de sur-vendre le style classique en tant que tel, mais uniquement dans la mesure ou l’apprentissage du dessin classique mène ensuite à tous les autres styles, y compris le style manga, qu’on abordera alors avec des fondamentaux solides, et donc avec un regard artistique bien plus aguerri. Qu’on ne s’y trompe pas : c’est comme cela qu’ont procédé les mangakas les plus talentueux.
Penser que l’on peut devenir un bon dessinateur simplement en recopiant des mangas et en s’affranchissant de toute formation artistique classique est vain, tout comme s’imaginer que l’on peut devenir un grand cuisinier en reproduisant maladroitement et pendant des années quelques recettes de fast-food.